Les Voyages Ferroviaires de Marc
03/03/18 : De la Turquie à l'Iran

 Votre serviteur et photographe, armé de pied en cape pour le voyage, prêt à prendre le bâteau à l'embarcadère de Kadikoÿ, près de la gare de Sirkecï. Toutes les demi-heures, un bateau part de cet endroit en direction de Haydarpasha. Pour les bagages, comptez le double de ce que vous voyez là, ce qui explique que nous n'avons pas trop couru partout pour prendre des photos.
 Et nous voilà à la gare de Haydarpasha, quatre heures avant le départ du train. C'est tôt, je l'admets, mais quand on prend un train qui ne roule qu'une fois par semaine, on n'est jamais trop prudent. Et puis, dans cette gare, il y a un très bon buffet, où nous avons fort bien mangé, en attendant notre train - et aussi assisté à la retransmission, sur écran géant, d'un match de foot Espagne-Turquie, au beau milieu d'une foule en délire. Quand la Turquie a marqué son premier but, j'ai bien cru qu'on allait assister à une séance de cassage d'assiettes... Départ à 10h50, dans une gare à peine éclairée, donc pas de photos, hélas.
 Jour deux, quelque part entre Ankara et Kayseri, à la voiture restaurant. D'habitude, j'essaie d'éviter, vu les prix (sauf quand c'est le boulot qui paie) mais ici, il n'y avait pas à hésiter : cuisine variée et agréable, personnel serviable et sympa, et prix "à la turque" c'est à dire très abordable : on n'a jamais payé plus de 15 euros pour nous deux. Et puis, il fallait bien saisir les dernières occasions de boire une p'tite bière, car après, ce sera ceinture et eau claire pour 3 semaines...
 Toujours entre Ankara et Kayseri, photo prise à travers la vitre de la voiture restaurant, plus propre que celle de notre compartiment. Le signal visible sur le bord gauche de la photo me permet de vous dire un mot de la signalisation turque. Il existe quatre systèmes. 1) La banlieue d'Istanbul, côté Européen, électrifiée dans les années 60, a reçu une signalisation basée sur le modèle allemand de l'époque. Voir des photos de ces signaux dans la partie consacrée à Istanbul, ci dessus. La signalisation est lumineuse, mais il y a toujours un poste de block à chaque gare 2) Dans les années 80, la signalisation à palettes (aussi d'origine allemande, mais beaucoup plus ancienne) a été remplacée par une signalisation lumineuse basée sur celle qu'on trouve en ex-URSS et en Europe de l'est (Signaux OSShD). On trouve cette signalisation sur les lignes les plus fréquentées, car elle s'accompagne d'une centralisation des postes (genre CTC à l'américaine).
 3) Sur les lignes moins fréquentées, il y a un dispatching qui supervise le trafic et qui donne ses instructions aux gares. Chaque gare contrôle le trafic avec un signal d'entrée et un signal de sortie par sens. Signaux lumineux à deux aspects (le plus souvent) ou mécaniques (en voie de disparition). 4) Et enfin, sur les lignes les moins fréquentées, on travaille uniquement par téléphone et ordres de départ écrit, sans dispatching centralisé. Entre Istanbul et Malatya, c'est (2), et entre Malatya et Tatvan, (3). Pendant la nuit qui va suivre, nous allons passer à travers ça. Malheureusement, je n'en ai rien vu, il faisait noir et j'étais crevé, donc j'ai dormi. Mais j'ai bien senti qu'on était revenus à la traction électrique : les accélérations n'étaient plus les mêmes, même si sur certaines parties du trajet nous avions reçu une machine d'allège en tête.
 Et le lendemain, quand on s'est réveillés, les montagnes étaient de l'autre côté - photo prise de nouveau à travers la vitre de la voiture restaurant, pendant le petit déj...
 Nous sommes maintenant au Kurdistan, zone "troublée" d'Anatolie. Les conditions dans lesquelles vivent les gens natifs de là-bas ne sont pas des plus agréables, sauf pour les turcs "pure souche" qui acceptent d'aller s'y installer, et pour lesquels leur gouvernement fait construire des nouveaux villages flambants neufs. On n'attire pas les mouches avec du vinaigre... mais cela n'aide pas à calmer le ressentiment éprouvé par la population locale envers les autorités. Cela justifiera l'embarquement, à Elazig, d'une "force d'escorte" lourdement armée, qui nous accompagnera jusque Tatvan. Et aussi le verrouillage des portes du train.
 Dans une petite gare perdue entre Elazig et Mus, nous avons fait un arrêt d'une bonne demi-heure pour attendre un croisement. Les portes du train nous ont été ouvertes pour nous permettre de nous dégourdir un peu les jambes. Vous pensez bien que j'en ai profité !
 Pas de chance, à peine suis-je descendu que la pluie s'invite à la fête... Les zones floues sur la photo, ce sont des gouttes d'eau sur l'objectif... Peu importe, voici enfin une photo de notre convoi : La machine, le fourgon générateur qui alimente la rame, deux voitures, le restaurant, trois autres voitures, et (derrière la goutte) le fourgon.
 Sous un autre angle... On voit bien les deux échappements, celui de la machine et celui du fourgon générateur. Tous les trains turcs en ont un, sauf ceux remorqués en traction électrique.
 Vue frontale de la machine, et aussi de la gare. Comme nous attendons un croisement, et aussi qu'il y a un train de frêt qui nous suit, dans quelque temps ces trois voies seront occupées.
 Vue des plaques constructeur de la machine. Si je comprends bien, c'est ume machine construite sous licence en Turquie selon de plans et avec un moteur français., et qui ont déjà été modernisées une fois.
 Vue du fourgon générateur. C'est un véhicule plus ancien que nos voitures, mais qui a été repeint dans une livrée identique.
 Nos voitures. Ce sont des véhicules modernes (livrés après 2000) et confortables en ce qui concerne le roulement et le silence, mais pas du tout en ce qui concerne la sellerie, qui est très dure et mal disposée.
 Je pensais aller jusqu'au bout du train mais ça n'a hélas pas été possible... Les deux autres trains, croiseur et suiveur, ont été annoncés, et tout de suite, l'"escorte" nous a fait rentrer. Madame, qui a assisté à la scène et s'inquiète pour son homme, vient à ma rencontre pour s'assurer que tout va bien.
 Une petite dernière en passant. J'ai bien pensé chauffer la plaque, mais...
 Intérieur du compartiment de ces voitures turques... Et ce que vous voyez par la fenêtre, ce sont des anciens coupons de voie montés sur traverses métalliques, qui datent de la construction de la ligne il y a presque un siècle... Ce n'est pas encore remplacé partout : là où on roule encore dessus, c'est 40 ou 60 km/h maximum. Là où c'est remplacé (par des longs rails soudés sur traverses béton) on roule à 120 environ, à condition que ce soit à plat parce que sinon c'est la machine qui ne suit plus. Mais comme ici, nous suivons une rivière...
 Nous approchons de Tatvan, port d'embarquement sur le ferry qui nous fera traverser le lac. Photo prise en passant l'appareil compact de mon épouse par l'imposte, enfin ouverte, de la fenêtre. Visée totalement "à pouf", bien entendu.
 Nous sommes passés la gare de Tatvan et nous rebroussons maintenant sur l'embranchement du port (à 40 km/h au moins!). Le fourgon, en queue, est bien mis pour être embarqué sur le bateau.
 Et nous voilà arrivés au port.
 Descente du train, avec armes et bagages, pour embarquer sur le ferry.
 Le fourgon, prêt à être embarqué lui aussi.
 A peine le temps de trouver sa place à bord que déjà on largue les amarres ! Faut dire qu'on est déjà trois bonnes heures en retard.
 Le deuxième ferry, paraît-il hors d'état de naviguer. Vous comprendrez pourquoi en lisant la suite. De nouveaux bateaux sont attendus pour dans un an ou deux. Il faut dire que ceux-ci ne sont pas très capacitifs: ils ne sont pas roll-on/roll off et on ne peut y mettre que six wagons. Deux bateaux, cinq heures de traversée, comptez vous même : maximum 24 wagons par sens et par jour. C'est peu pour une ligne qui est appelée à devenir un jour un cordon ombilical entre l'Europe et l'Inde : il ne manque, en Iran, que quelques centaines de km, entre Bam et Zahedan, pour qu'une relation directe soit possible, et les chemins de fer Iraniens ont annoncé que ce serait mis en service cette année. Avec la mise en place de la liaison Marmarail sous le Bosphore (je vous en ai parlé plus haut, suivez un peu! ;-)), le lac de Van sera le dernier "bouchon" sur cette relation. Il est donc temps de faire quelque chose...
 A bord du ferry "Tatvan" - nous voilà partis pour cinq heures de traversée. Quand nous arriverons de l'autre côté, il fera nuit noire, et nous attendrons une bonne heure l'arrivée du train iranien, en retard.
 Dans les cartons des chemins de fer turcs, il y a un projet de ligne de contournement du lac. Mais ce ne sera pas facile, car tout le tour du lac a précisément cet aspect-ci. Ce n'est pas le terrain le plus facile pour construire une ligne de chemin de fer. La ligne qui, de l'autre bout du lac, conduit à la frontière iranienne et à la ville de Tabriz, date des années 70. Sur cette ligne circulent trois trains internationaux par semaine : un Istanbul-Téhéran, un Téhéran-Damas (qui transite par la Turquie, car il n'y a pas encore de relation trans-frontalière Iran-Irak), et un Van-Tabriz.
 Comme vous pouvez le constater, ce bâteau n'est pas un modèle de modernité, ni d'entretien d'ailleurs. Comme un petit tour sur le pont m'a permis de le découvrir, tout l'accastillage de secours (canots de sauvetage, palans de mise à l'eau, etc) est tellement mal entretenu qu'il est en fait probablement hors d'usage. En cas de naufrage, on ne pourrait compter que sur les gilets de sauvetage. Et vu la température que doit avoir l'eau (voir les photos précédentes, avec les montagnes enneigées tout autour), je ne me fais aucune illusions quant à nos chances de survie en cas d'accident... Le fait qu'on laisse les passagers (y compris les enfants) se promener ainsi sur le toit du bateau, sans aucun bastinguage pour prévenir les chutes, est aussi une bonne indication du niveau de sécurité qui règne à bord. Et je ne vous parle pas de l'état des toilettes ! Par contre, à l'intérieur, c'est la fête ! Les iraniens chantent, dansent et récitent de la poésie épique pour fêter leur retour au pays.
 L'Iran ! Nous y voilà, enfin... Après le retard de 3 heures attrapé en Turquie, plus l'heure supplémentaire infligée par le retard du train iranien, les douanes turques on cru bon d'en rajouter une couche, c'est à dire une heure de plus, en faisant descendre tout le monde du train à deux heures du matin, pour mettre le cachet de sortie sur le visa. Un guichet pour les hommes, et un autre pour les femmes. Dans le train, 80% d'hommes et 20% de femmes. Et bien entendu, pas question que le douanier qui s'occupe des femmes aide son collègue des hommes quand toutes les femmes sont passées, bien sur, ce serait trop facile... La douane iranienne, elle, fonctionne bien comme chez nous, par contrôle dans le train pendant qu'il roule. Il faut par contre, disposer d'un visa, précieux sésame sans lequel il est impossible de pénétrer dans le pays. Tabriz, tout le monde descend ! La majorité des voyageurs du train sont Iraniens, et ils voyagent avec une quantité déraisonnable de bagages, raison pour laquelle il y a ce fourgon. Mais à Tabriz, on dédouane, c.a.d. on ouvre tout, ou presque... Le seul douanier chargé de cette tâche, en face de la centaine de propriétaires des dits bagages, appelés dans le fourgon chacun à leur tour, y mettra plus de deux heures... Le véhicule bizarre, entre la dernière voiture et le fourgon, est, de nouveau, un fourgon générateur.
 Petit zoom sur notre voiture et sa plaque d'itinéraire. Je vous prie de bien vouloir excuser ces cadrages approximatifs, mais toutes ces photos ont été faites à la sauvette, sans viser, parce qu'ici aussi c'est interdit. Je me suis juste aidé discrètement de l'écran de l'appareil (qui, heureusement, est orientable) mais pas question de mettre l'oeil au viseur...
 Comme vous le voyez, la gare de Tabriz est électrifiée, en 25kV 50Hz. C'est le point sud de la seule ligne électrifiée du pays, qui part de Jolfa, à la frontière du Natchikevan (qui est une province séparée de l'Azerbaidjan, enclavée entre l'arménie, l'Iran et la Turquie). Elle a éte construite par les russes en 1914, à l'écartement large, remise à l'écartement normal dans les années 50, lorsque le réseau iranien a atteint Tabriz, et électrifiée, de nouveau par les russes, en 1975 : à cette époque, l'URSS électrifiait la ligne de Erevan à Bakou, qui longe la frontière iranienne sur plusieurs centaines de km, et l'URSS a proposé un contrat très intéressant pour prolonger cette électrification de Jolfa à Tabriz. La traction est assurée par 8 locomotives électriques de type suédois RC4 cédées à l'Iran par la Yougoslavie. Cette ligne n'est malheureusement plus très utile au pays, car elle est maintenant coupée deux fois sur son trajet ! D'abord en Abkhazie, province de Georgie qui veut se séparer de son pays pour revenir à la Russie, et ensuite à la frontière entre l'Arménie et le Natchikevan, depuis que l'Arménie et l'Azerbaidjan sont en guerre. La ligne ne sert donc plus que pour la liaison entre l'Iran et le Natchikevan : deux trains de voyageurs par semaine, avec du matériel ex russe et changement de bogies à la frontière. Dommage... Autrefois il y avait un express Moscou-Téhéran qui passait par là. Cinq jours de voyage... Ce devait être un trajet fantastique... Pour compenser la perte de cette liaison avec la Russie, L'Iran construit une ligne de Quazvin à Rasht et Astara, à la frontière azerbaidjanaise.
 Les iraniens ne parlent et n'écrivent pas tout à fait comme nous ! Ils parlent le farsi, une langue qui disposait autrefois de sa propre écriture mais qui a disparu lors de l'invasion arabe. La langue est restée, mais l'écriture a adopté les signes arabes. Le farsi se lit aussi de droite à gauche. Les chiffres, eux, se lisent comme chez nous de gauche à droite et les nombres fonctionnent selon le système décimal. Il y a juste les signes qui sont différents. Les iraniens numérotent leur matériel selon la numérotation UIC, mais is reprennent la partie importante du numéro dans leur propre écriture, comme vous pouvez voir dans la photo ci-dessous. Les signes cabalistiques au dessus du numéro UIC signifient 50 86 734. J'avais pris la précaution d'apprendre à lire ces signes avant de partir...

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