Les Voyages Ferroviaires de Marc
11/03/18 : La création des chemins de fer en Israel (suite)

L'entre deux guerres

A la fin de la guerre, l'empire ottoman disparait et sur ses cendres nait la république de Turquie, dans des frontières nettement plus modestes. Les autres possessions de l'empire sont partagés en protectorats et dominions divers que se partagent les états sortis victiorieux de la guerre. Pour la Palestine, ce sera l'Angleterre, dont les troupes et l'administration sont déjà sur place. Les chemins de fer sont placées sous l'autorité d'une administration civile, les Palestinan Railways. Ceux-ci héritent de la ligne de Kantara à Acre par Gaza, Lod, Tulkarem et Haïfa ; de la ligne de Jaffa à Jerusalem ; de quelques embranchements mineurs à voie normale ; et de la ligne du Hedjaz, de Haïfa à Samakh. Pourquoi Samakh ? Parce que c'est là que se situe la nouvelle frontière... Au delà, ce n'est plus la Palestine mais la Syrie. Les voitures directes de et vers Deraa persistent, mais les locomotives seront désormais systématiquement échangées à cet endroit. Les autres lignes, n'ayant aucune justification économique, fermeront rapidement, et leurs traces disparaitront bien vite, soit dans les tissus urbains toujours grandissants, soit sous la charrue des fermiers. Le matériel roulant sera au début une collection hétéroclite de surplus militaires, de matériel civil déclassé hérité des compagnies privées anglaises, et du matériel (surtout des voitures) prêtées par les chemins de fer égyptiens. Il faudra attendre la fin des années 20 pour voir passer une première commande de matériel neuf. Il faut noter qu'il est désormais possible de joindre Istanbul au Caire en train : le Taurus express de la CIWL jusque Alep, de là un train à voie métrique permet de joindre Damas, puis le chemin de fer du Hedjaz jusque Haïfa. Là, les trains 1 et 2 des Palestinian Railways conduisent à Kantara, et certains jours, comprennent des voitures (lits, restaurant, salon) de la CIWL qui, par le bac du canal de Suez - le pont a été démonté à la fin de la guerre - rejoignent la capitale égyptienne. Pour les voyageurs fortunés, le Taurus express continue jusque Tripoli, et de la, un "service automobile" de la CIWL permet de rejoindre Haïfa sans endurer les affres des trains locaux et du détour par Damas... Dans les années 30, la grande dépression et la montée en puissance du régime Hitlérien incitent de plus en plus de Juifs à immigrer en Palestine, avec l'assentiment tacite des autorités anglaises. Cela ne plait pas à la population arabe locale qui accuse les anglais de complicité et se retourne contre eux, attaquant tous les symboles de cette autorité. Dans ce contexte, les chemins de fer deviennent bien sur une cible de choix : les voies sont sabotées, les ponts dynamités, les trains attaqués en chemin... Il devient nécessaire de mettre en place des escortes et de patrouilles pour maintenir les lignes ouvertes. C'est surtout la ligne du Hedjaz qui souffrera de ces actes, ce qui la fera entrer dans un déclin dont elle ne se relèvera pas.

La deuxième guerre mondiale et la naissance de l'état d'Israël

Quand la deuxième guerre mondiale éclate, la Palestine ne se retrouve plus dans une zone de combat. Tout au plus y aura-t'il quelques tentatives de bombardement de la part de la Luftwaffe depuis ses bases de Crète... Par contre, la région va être engagée à fond dans l'effort logistique nécessaire pour soutenir l'armée anglaise dans son combat contre l'Afrikacorps en Egypte occidentale et en Lybie. En quelques mois, le trafic des Palestinan Railways est multiplié par trois, et le transbordement des marchandises en gare de Haïfa entre voir étroite et voie normale, de simple nuisance, devient un réel problème. Pour le résoudre, l'état-major anglais dépèche sur place un battaillon du Génie de l'armée australienne, qui construit, en un temps record, une laison ferroviaire à voie normale entre Tripoli, au Liban, et Haïfa. Le chainon manquant est ainsi éliminé, et pour la première fois, il est possible de se rendre au Caire depuis Istanbul sans changer de train. Cela, hélas, ne durera pas... La guerre se termine, dans la région, sans autre évenement notable. Mais dès la paix revenue, l'immigration juive, boostée par la révélation de la Shoah, reprend de plus belle, avec une ampleur jamais connue jusqu'ici. L'autorité anglaise, se souvenant des troubles de l'avant guerre, s'oppose cette fois, quoi que mollement, à ce flux migratoire. Mais c'était oublier qu'il y avait déjà une forte population juive déjà installée sur place. Et cette fois, c'est celle-ci qui prend les armes pour s'opposer à l'occupant, afin de le forcer à accepter l'immigration. Leur action sera nettement plus efficace que celle des Arabes 10 ans plus tôt... La nuit du 16 au 17 juin 1946, dans une action dont l'histoire se souviendra sous le nom de "Night of the bridges" (la nuit des ponts), la Haganah, l'armée secrète juive en Palestine, fait sauter une dizaine d'ouvrages d'art, pour la plupart ferroviaires. Parmi eux, deux ponts dans la vallée du Yarmouk, sur le chemin de fer du Hedjaz. Irréparables, ils ne seront jamais reconstruits. Voici donc une ligne à caractère international réduite à une fonction de cabotage local, qui ne suffira hélas pas à la maintenir en vie... Les actions contre l'occupant se multiplient, et en mai 1948, les anglais se retirent de Palestine et remettent leur mandat dans les mains de l'ONU. Le 14 mai, dernier jour du mandat, David Ben Gourion proclame l'état d'Israël. Le même jour, les armées coalisées de 5 pays limitrophes (Liban, Syrie, Irak, Jordanie, Egypte) attaquent. Les experts politiques et militaires ne donnent pas trois semaines à Israël avant de cesser d'exister. Mais contre toute attente, les forces armées israéliennent résistent, contre-attaquent, et finissent par sécuriser leurs frontières. Pour les chemins de fer, cela sera une catastrophe. La ligne du Hedjaz est déjà coupée. A la frontière libanaise, l'armée israélienne fait sauter les tunnels de la ligne vers Beyrouth. Ils ne seront jamais reconstruits non plus. La ligne vers le sud ne comporte pas d'ouvrages d'art notables qu'on peut détruire mais la ligne est quand même neutralisée. Et ce n'est pas le plus grave... La ligne de Lod à Haïfa est aussi coupée, car elle pénètre pour quelques kilomètres en territoire jordanien. Et la ligne de Jérusalem, établie exactement sur la frontière entre les deux pays, est sous le feu de l'artillerie jordanienne et ne peut plus fonctionner non plus. Jamais les chemins de fer de cette région n'ont été plus près de disparaitre totalement...

 La gare (ce qu'il en reste, plutôt) frontière de Samakh, sur le chemin de fer du Hedjaz. Nous sommes dans la vallée du Jourdain, juste au sud du lac de Tibériade (là où Jesus aurait marché sur l'eau). Cette gare était la gare "la plus bas du monde", à une altitude de 220 m sous le niveau de la mer. Le truc noir au fond sur la photo, ce sont les maçonneries de soubassement d'un chateau d'eau. La cuve elle-même était en métal et a évidemment été récupérée...
 Le bâtiment voyageurs, récupéré pour en faire le bureau d'une entreprise privée...
 Le Jourdain. Je suis sur que vous pensiez que c'était plus grand que ça. La ligne passait sur l'espèce de sentier qu'on distingue à gauche.
 La recherche de vestiges ferroviaires n'est pas de tout repos dans la région. Ici, j'ai fait demi-tour.
 Défense d'aller plus loin, domaine militaire... mais de l'autre côté de cette barrière, il y a un pont sur le Jourdain où la ligne du Hedjaz passait autrefois. On distingue encore bien les voies, entre les barbelés.
 Vallée du Yarmouk, aujourd'hui no-man's land frontalier entre Israël et la Jordanie. Interdit de photographier... Ce cliché et le suivant seront quand même un peu le summum de mon voyage. C'est un des deux ponts de la ligne du Hedjaz que la Haganah a fait sauter lors de la "Night of the bridges".
 Et voici l'autre qui, s'il a l'air en meilleur état, a quand même été rendu inutilisable... Cette ligne était truffée d'ouvrages d'art. Après son abandon côté Israélien, la ligne a continué a être utilisée sporadiquement côté syrien, notamment pour des voyages d'amateurs, avec traction vapeur par les machines datant de l'origine de la ligne. Etant donné le côté spectaculaire de la ligne et de son environnement, ces voyages devaient être absolument fantastiques. Ca a duré jusque dans les années 70.
 Quelques photos de la reconstruction de la ligne du Hedjaz. Sur la future assiette de la ligne, construction d'un ouvrage routier pour éliminer un passage à niveau.
 Assiette prévue pour la double voie, mais dans un premier temps, une seule voie sera posée.
 Voilà le point extrème où la voie est arrivée en ce mois de mai 2015, environ aux 2/3 du parcours total.
 Pour une bonne partie du trajet, la ligne longe une route nationale, dans le fond d'une vallée très peu marquée. La construction ne pose pas de problèmes logistiques compliqués, mais se pose la question de la traversée des routes affluentes.
 Traversée provisoire, ici aussi il y a un ouvrage d'art.
 Ici par contre, ce sera un PN.
 Construction du boulevard de desserte et de la nouvelle gare (provisoirement) terminus de Beit She'an, située, comme toutes les gares israéliennes récentes, en dehors de l'agglomération. Il ne sera pas question de venir à la gare à Pied. Le petit bâtiment en pierre à gauche est un vestige de la gare d'origine.
 Vue de la nouvelle gare, de loin car pas possible de s'approcher plus.
 Le Chemin de fer de Jaffa à Jerusalem a été amputé, au cours de son histoire, de ses deux extrémités : la portion de ligne de Tel Aviv à Jaffa a disparu dans l'entre-deux guerres, et la section finale dans Jerusalem a disparu lors de la reconstruction de la ligne dans les années 1990. Les deux gares ont toutefois été préservées, et sont devenues aujourd'hui des lieux à la mode, où l'on se retrouve pour prendre un verre, manger un morceau (très bon parfois, ce qui est dur à trouver par là) ou faire du shopping dans des magasins "trendy". Voici Jérusalem
 
 
 Et ici ce qui fut autrefois l'extrémité de la ligne.
 Et voici Jaffa
 
 
 Si je suis bien renseigné (j'espère) cette voiture est une ancienne voiture brittanique, amenée sur le front pour servir de voiture ambulance, reconvertie ensuite comme voiture voyageurs, et finalement déclassée dans les années 50...

Les chemins de fer de l'état d'Israël

Le gouvernement du nouvel état décide, malgré la situation difficile, de maintenir le réseau en fonctionnement. Les liaisons internationales sont sacrifiées - à quoi bon, de toute manière, quand on est entouré d'ennemis - mais les relations intérieures sont rétablies : un accord avec la Jordanie garantit le libre passage des trains sur la ligne de Jerusalem, et un contournement de Tulkarem, évitant la cisjordanie, est mis en place sur la ligne de Haïfa. Les chemins de fer israéliens diéselisent assez tôt, et commandent leurs premières locomotives diésel en Belgique, à la société SAFB, qui construira aussi les 40 "gros nez" belges. Il y a, dans un de mes livres, une superbe photo d'une de ces locomotives en essais dans la gare de La Croyère... Les autres locos viendront directement des Etats-Unis. Pour le matériel roulant, ce sera plus varié : reconstruction du matériel ancien, matériel allement neuf livré à titre de réparations de guerre, et beaucoup de matériel de seconde main en provenance d'Angleterre et d'ailleurs. Dans les années 50-60, le réseau sera profondément restructuré et augmenté, avec notamment la construction de la ligne côtière entre Haïfa et Tel-Aviv, l'abandon de la ligne longeant la frontière cis-jordanienne, et l'extension vers le Neguev pour desservir les industries extractives. Et puis, fin des années 60, tout s'arrête. Le gouvernement met l'accent sur la route et oublie le rail. 20 ans plus tard, le désinvestissement est tel que la clientèle a diminué de deux tiers. Se pose donc de nouveau la question de l'abandon éventuel du réseau, au moins pour le trafic voyageurs. C'est à ce moment que la direction du réseau sera confiée à l'autorité des ports, qui elle a les moyens d'investir, et le fera en masse, ce qui mênera au réseau moderne et performant qui est en place à ce jour. Aujourd'hui, il y quelques projets intéressants : - nouvelle ligne entre Tel-Aviv et Jerusalem, appelée "à grande vitesse" mais qui sera en fait exploitée à 160 km/h par des rames réversibles en traction électrique, une première ; la ligne partira de l'aéroport et aboutira sous la gare de bus de Jerusalem, qui est desservie par le tram. Trajet prévu en 30 minutes au départ de Tel Aviv, 20 minutes au départ de l'aéroport. Mise en service prévue en 2017. - reconstruction de la ligne "centrale" entre Lod et Haïfa par l'intérieur, pour soulager la ligne côtière, surchargée malgré ses sections à 3 voies. Mise en service : après 2020. - reconstruction, mais à voie normale, de la ligne du Hedjaz, après 60 ans de sommeil... Jusque Beit She'an dans un premier temps, ensuite jusque Tiberias. Travaux en cours, mise en service prévue en 2016 Et les relations internationales ? C'est le chapitre qui finit mal... Il est hors de question de rétablir des relations ferroviaires avec la Syrie ou le Liban, pays avec lesquels Israël est théoriquement toujours en guerre. Les chemins de fer libanais ont de toute manière totalement disparu, et les terrains ré-utilisés pour des projets routiers ou immobiliers. Quant à la Syrie, plus aucun train n'y roule pour le moment. Côté Egypte, la ligne est restée en service plus tard et a servi pour la dernière fois pour ramener le matériel ferroviaire capturé aux égyptiens comme prise de guerre, lors de la guerre des six jours (notamment 3 locos GM qui roulent toujours...). Depuis, la ligne a disparu dans les sables du Sinaï et dans les constructions de la bande de Gaza. Les égyptiens ont tenté deux fois de la reconstruire, tentatives chaque fois avortées. Aujourd'hui, l'autorité égyptienne ne contrôle plus vraiment cette région. Le renouveau pourrait venir de la Jordanie, qui a marqué son intérêt pour une connexion à la nouvelle ligne du Hedjaz, qui passera à moins de 10 km de la frontière, pour exporter des produits minéraliers via le port de Haïfa.

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